Par Sophie Jehel
Maître de conférence en sciences de l’information et de la communication, Paris 8.
(Extraits choisis du texte publié pour la revue VEN des Ceméa)
Suite à la publication des résultats en 2014 de l’enquête quantitative1, des entretiens qualitatifs par petit groupe ont été conduits en mars 2015 auprès de 50 jeunes de 16-17 ans, fréquentant des filières professionnalisantes et ayant bénéficié du dispositif « Éducation aux écrans » conduit par les CEMEA en Basse Normandie..
1 L’étude est accessible à l’adresse suivante : http://enfants-medias.cemea.asso.fr/spip.php?article1270
(Les conclusions qui sont tirées de cette enquête ne sont donc pas généralisables à l’ensemble des jeunes dont les parcours numériques sont marqués par leurs différences en termes de capital scolaire, de capital culturel, qui recouvrent notamment des différences d’aptitudes à l’écrit.)
Un des constats qui se dégageaient de l’enquête quantitative1 réalisée dans le cadre de l’Observatoire 2013-2014 était que les activités des adolescents sont concentrées sur un petit nombre de plateformes (YouTube, Facebook, Google, Skype, Twitter).
Parmi ces plateformes, les réseaux sociaux numériques (RSN) jouent un rôle pivot pour les informer sur les sujets qui les concernent. C’est Facebook que les jeunes citent comme source d’information, devant Wikipedia, et loin devant les sites d’information ou les sites des chaînes de télévision. 85% des jeunes interrogés avaient un compte Facebook, et 55% ont désigné ce compte comme source d’information « intéressante pour les jeunes ».
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L’accès à l’information sur le fil d’actualité des RSN propose pêle-mêle des « actualités » totalement disparates, informations privées sur la vie des copains, alertes diffusées par les médias d’information auxquels sont abonnés les adolescents (Le Monde, le Figaro, Ouest France…), les vidéos de gags ou de bastonnades recommandées par les contacts Facebook.
Le rôle majeur des RSN dans l’accès à l’information
Les RSN ne sont pas le seul moyen d’information des adolescents. Entre 16 et 18 ans, ils regardent encore la TV, souvent avec leurs parents, le soir sur une chaîne historique (TF1 ou France2), en journée sur des chaînes d’information en continu. Léo prend son goûter devant BFM TV. Peu de temps avant les entretiens avaient eu lieu des attentats meurtriers au musée du Bardo en Tunisie. Nombreux sont les adolescents interrogés qui en ont pris connaissance à la télévision, quand bien même ils auraient vu passer l’information sur leur fil d’actualité. C’est par la télévision qu’ils l’ont gardé en mémoire.
Les informations générales viennent sur leur fil d’actualité par des pages auxquelles ils sont abonnés ou par des contacts qui vont les partager. Les adolescents rencontrés ont cependant rarement l’impression de pouvoir émettre et échanger des informations intéressantes.
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L’utilisation des RSN peut être une façon de participer positivement à l’espace public, mais on comprend que c’est rare, et que la plupart du temps on y partage des événements plutôt futiles. Par modestie, ils ont plutôt tendance à minorer leur capacité à publier des infos intéressantes : Coline aime lire et « liker » des livres, mais elle ne croit pas que ses amis puissent s’y intéresser :
« Ils vont pas aller voir l’historique de ce que j’aime, ils ont pas le temps. »
On trouve là l’expression d’une modestie des milieux populaires vis-à-vis des domaines culturels, mais aussi celle d’une jeunesse habituée à être assignée à des activités qui relèvent du divertissement et de la futilité et qui a du mal à penser qu’elle puisse être prise au sérieux. Mais ce sentiment indique également le caractère limité de l’utilité que représentent les RSN aux yeux des adolescents (particulièrement dans les milieux modestes) voire le sentiment de relégation qu’ils peuvent y éprouver (Granjon 2012)
Personnalisation du fil d’actualité selon les hobbies
Les RSN permettent de s’approprier l’information en s’abonnant à des pages. Les adolescents enquêtés se sont abonnés à des pages très diverses, et ne s’en souviennent d’ailleurs pas toujours. On peut distinguer quatre grandes catégories en fonction des motivations premières d’adhésion : celles constituées par des communautés partageant des temps de vie ou des engagements (groupe de la classe, groupes de copains, groupes de fans d’un chanteur) ; des pages donnant de l’information liées à des goûts culturels (cinéma, musique, mode), ou à des activités manuelles ou sportives (hand, roller, foot), enfin les pages des sites d’information générale.
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Le fonctionnement des algorithmes qui structurent l’accès aux informations vient accélérer la personnalisation des fils d’actualité et accroître les inégalités sociales (Rouvroy 2014). Chacun n’a accès qu’à l’information qu’il a demandée ou qui est censée répondre à son profil, calculée par les algorithmes en fonction de différents critères dont la structure de la navigation de l’internaute sur son propre réseau, mais aussi le volume de soutien obtenu par les messages (ou les vidéos) selon des modalités tout à fait opaques à l’utilisateur (Cardon 2015). Pour les adolescents des filières professionnalisantes la difficulté à s’informer par les RSN est encore renforcée par le chaos qui règne sur le fil d’actualité du fait du caractère disparate des informations qui s’y trouvent.
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Le fonctionnement des algorithmes qui structurent l’accès aux informations vient accélérer la personnalisation des fils d’actualité et accroître les inégalités sociales (Rouvroy 2014). Chacun n’a accès qu’à l’information qu’il a demandée ou qui est censée répondre à son profil, calculée par les algorithmes en fonction de différents critères dont la structure de la navigation de l’internaute sur son propre réseau, mais aussi le volume de soutien obtenu par les messages (ou les vidéos) selon des modalités tout à fait opaques à l’utilisateur (Cardon 2015). Pour les adolescents des filières professionnalisantes la difficulté à s’informer par les RSN est encore renforcée par le chaos qui règne sur le fil d’actualité du fait du caractère disparate des informations qui s’y trouvent.
Quelle qualité de l’information ?
Les adolescents ont du mal à savoir quelle est la source d’une information, dès qu’elle est renvoyée par quelqu’un. Pris dans un flux dont ils dévident le cours en « descendant » l’ascenseur de la page, ils ont aussi du mal à prendre conscience de la gravité de certaines informations, dans ce contexte chaotique. Jean en réfléchissant bien se souvient qu’il avait appris la réalisation des attentats du Bardo sur Facebook par un ami qui l’avait publié, mais il ne s’est vraiment informé que le soir en regardant la télévision.
Le terme même d’actualité est porteur de confusion. On va « regarder » l’actualité « je vais voir les actualités », voir « ce qu’il y a » dit Mélanie. Les RSN accentuent la vision paysagère du monde déjà construite par les médias traditionnels, et comme une conséquence du processus séculaire d’individualisation mis en lumière par le sociologue Norbert Elias (1991). Plus l’individu a conscience de lui-même, plus il considère l’autre, les autres comme un paysage, extérieur à soi. Les RSN à travers la personnalisation de l’information viennent accélérer ce phénomène. Sur les fils d’actualité, l’information générale, celle qui construit l’espace commun, livre les références communes ouvrant au débat public, est noyée sous le divertissement. L’internaute en est spectateur, de même qu’il contemple les événements survenus à ses proches. Le paysage construit par les RSN ne se contente pas d’objectiver les autres, il est égocentrique, réifiant également les identités personnelles, et les actualités quotidiennes du cercle amical sont traitées sur le même pied que celles de la société globale.
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La difficulté du tri des informations
L’accès à l’information semble très facilité sur Internet. Pourtant ce n’est pas toujours l’expérience qu’en ont les préadolescents lorsqu’ils font des recherches scolaires. Le moteur de recherche qu’ils utilisent n’offre pas toujours la réponse à leur question et ils peuvent se sentir désemparés, d’autant plus blessés par ce type d’échec qu’ils ont le sentiment que les jeunes, du fait de leur fréquentation précoce des outils numériques, devraient en avoir une compréhension innée (Cordier 2015). Sur les RSN, leur rapport à l’information est presque inversé, puisque c’est elle qui vient à eux sans qu’ils ne sachent plus trop par quel chemin et ils se retrouvent envahis par des messages d’intérêt variable. Profiter vraiment de l’information amenée par le fil d’actualité leur demande des efforts considérables.
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C’est ainsi que l’on cerne un des facteurs de l’ennui suscité par les RSN : le brouillage des informations qui succèdent les unes aux autres sans aucun ordre. Les adolescents se trouvent constamment sollicités par des informations qui ne les concernent pas, qui ne sont pas contextualisées, qui ne font pas sens et qui en même temps sont difficiles à refuser parce qu’elles ont un fort potentiel d’émotion (« un tigre mange un enfant ») ou de curiosité et qu’elles se présentent comme ayant déjà bénéficié d’un grand nombre de vues, dont le chiffre s’affiche sur la vidéo.
Qualité et validité de l’information
Mauricette est abonnée aux pages « le saviez-vous version sexe » et « le saviez-vous version cannabis » qui la tiennent informée sur des sujets qui préoccupent les adolescents. Mais ils sont nombreux dans les filières professionnelles à avoir signalé qu’ils étaient également abonnés à des sites d’information en ligne. Ils ont cité Le Figaro, Le Monde, Ouest France, Le Parisien, LCP. Pour certains il s’agit de la conséquence d’une présélection effectuée par les marques de téléphone.
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Comme leur rapport à l’information semble souvent naïf, spontané et décontextualisé, ils sont parfois troublés par des informations qui s’avèrent complotistes et décrivent au final un rapport très méfiant à l’information et aux grands médias. Dans un groupe, une jeune fille avait visionné une « vidéo de 30 minutes » relative aux attentats. Il fallut beaucoup d’encouragement pour qu’elle accepte d’en parler et de dire ce qu’elle en pensait. Le climat de suspicion post-attentats du 7 janvier rend la parole des jeunes difficile à recueillir. Pourtant cette libre expression semble nécessaire pour construire des postures plus solides.
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La question de la validité et de la confusion de l’information déborde les RSN et se retrouve avec la même acuité sur des plateformes d’hébergement comme YouTube. Le principe est le même : des informations non vérifiées circulent et peuvent être visionnées de nombreuses fois par adhésion ou pour s’en indigner. Les mêmes vidéos peuvent circuler sur le fil d’actualité ou sur YouTube. Les adolescents se trouvent démunis pour faire face à ces formes de désinformation, et pour construire seuls des démarches critiques.
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L’exploitation de l’information suppose d’en restituer le sens et de pouvoir s’en servir. Les difficultés des jeunes de filières professionnalisantes relèvent à la fois de l’envahissement par des informations qu’il faudrait trier, mais aussi par une certaine méconnaissance des médias d’information et de leurs règles déontologiques. Elles dessinent en creux des pistes d’accompagnement souhaitables.
2 thoughts on “L’information des adolescents par les réseaux sociaux : le chaos des fils d’actualité.”